Pour terminer ce mois de mars au féminin, je vous emmène cette semaine sur l’île de Jeju. Je ne vais pas vous parler de l’endroit en lui-même, ça je vous le réserve pour un autre moment, mais de la raison pour laquelle nous appelons Jeju «L’île aux femmes». Nous allons retrouver les profondeurs marines avec les haenyo 해녀, les femmes de la mer de Jeju.
L’histoire des Haenyo (ou Jamnyo)
L’île de Jeju est connue non seulement pour son sol volcanique rocailleux, mais surtout pour sa société centrée sur la mère, fondée sur le travail et le pouvoir économique des femmes. Pourtant, jusque dans les années 1600, pouvoir plonger sur l’île de Jeju était un travail réservé aux hommes. Seules quelques femmes plongeaient aux côtés de leurs maris. C’est en 1629 que le nom de jamnyo (plongeuses) apparaît dans l’histoire de l’île. Ces «femmes plongeuses» sont considérées comme de viles créatures car elles exercent à moitié nues aux côtés des hommes.
Celles-ci sont alors interdites de plonger aux mêmes endroits que les hommes par peur du libertinage. Ce que le gouverneur de l’île (qui les traite ainsi) ne sait pas, c’est que moins elles portent de vêtements, plus elles ont une liberté de mouvement adéquate pour plonger dans les profondeurs marines. La véritable raison de ce changement de sexe dans le milieu de la plongée sous-marine n’est pas vraiment connue, même s’il existe différentes théories. Le fait est que les hommes doivent désormais payer une taxe pour pouvoir plonger, laissant ce dur labeur aux femmes qui sont devenues le pilier économique ainsi que le cœur de l’identité insulaire de l’île.
Les femmes de Jeju sont différentes de celles du continent: plus impressionnantes, plus sûres d’elles. Elles sont traitées comme des femmes de bas étage, sans éducation, sans que l’on ne comprenne leur rôle essentiel au sein de l’économie insulaire. Il existe entre ces femmes une réelle solidarité, qu’elles n’ont pas hésité à démontrer lors du mouvement de résistance des plongeuse face au japonais en 1932, à Sehwa. Exploitées par les japonais, elles refusent le traitement que leur impose le gouverneur de Jeju. 17 130 plongeuses ont manifesté contre les japonais lors de cet événement, et, en l’honneur de cette résistance, il existe une chanson appelée le «Le chant des Jamnyo»:
«Nous sommes les pauvres jamnyo
Le monde connaît notre histoire tragique
Par temps froid, par temps chaud, et même les
jours de pluie
Mon corps est bousculé au gré des vagues
de la merMe levant tôt le matin et revenant le soir au
Crépuscule
Préparant le dîner, nourrissant mon bébé de
mon lait
Je suis émue par ce que j’ai gagné après une
journée de travailAu début du printemps, quittant ma famille et
Mon foyer
Portant sur mon dos la vie de toute la famille
Franchissant la mer à travers de fortes et furieuses
Vagues
Je vais à Ulsan et à Taïwan
Pour gagner de l’argent»

La vie quotidienne des Haenyo
L’île de Jeju abrite plus de femmes que d’hommes et la place de ces dernières est hors de la maison. Il faut savoir qu’une partie des revenues des plongeuses contribue aux besoins de la communauté (comme des travaux dans les écoles, par exemple) alors qu’elles utilisent l’autre pour subvenir aux nécessités de leur famille. Sur Jeju, la femme mariée est celle qui travaille pour produire de la nourriture, sur la terre comme en mer, dans les villages du littoral. C’est aussi celle qui réussit à gérer sa maison sans l’aide de son mari (sur l’île, la première raison qui fait d’une femme mariée une femme épanouie est d’avoir réussi à rembourser les dettes de son mari, devant celle de réussir à apporter une bonne éducation à ses enfants).
Les jamnyo doivent savoir retenir leur souffle et avoir une grande capacité pulmonaire, adapter leur corps aux courants et à l’orientation du vent, bien connaître le changement des saisons et leur impact sur la flore et la faune sous-marine et aussi avoir une bonne résistance au froid. Si le «clan des jamnyo» est si bien huilé, c’est également grâce à sa hiérarchie.
Les rangs élevés sont appelés les sang-gun et sont les cheffes des plongeuses. Viennent ensuite les rangs intermédiaires, les jung-gun et enfin les bébés jamnyo, les ha-gun. C’est en général les sang-gun qui apprennent le métier aux ha-gun. Toute cette éducation se passe au buelteok, un foyer. Le buelteok est un lieu de rassemblement, de transmission, de discussion, de rencontres, d’organisation et de maintient de la communauté. Le foyer est interdit aux hommes. Sans le buelteok, le travail des jamnyo serait individuel. C’est devenu un lieu de repos, de partage où elles peuvent également se changer et cuisiner. Il s’agissait à l’époque d’un cercle de pierre qui, avec les années, est devenu un petit appartement en bord de mer.
Il existe un profond respect entre les fonds marins et les plongeuses.
En dehors de la pêche sous-marine, les jamnyo doivent planter des graines hors-saison afin d’aider la reproduction des coquillages et des plantes marines. Bien que le matériel de plongé se soit drastiquement amélioré au fil des ans, elles décident de continuer à travailler sans bouteille à oxygène, dans le but de respecter la nature. Jusqu’en 1970, les plongeuses utilisent un maillot de bain traditionnel en coton (mulsojungyi) avant que les combinaisons et palmes ne soient importées du Japon.
Au début du XIXème siècle, les lunettes de plongées en plastique remplacent celles en métal et le taewak (ce filet avec flotteur que les plongeuses utilisent pour la pêche), qui était jusque là une citrouille séchée, devient un flotteur en polystyrène.
Tout ce nouveau matériel augmente le temps passé sous l’eau de 30/60 minutes à 4/7 heures.
Le résultat de leur séance de pêche est ensuite pesé et payé, ou alors échangé contre des denrées qui ne poussent pas sur l’île, comme le riz et le coton.
Les haenyo, ou jamnyo, sont une véritable clef de voûte pour l’île de Jeju. Pourtant, ce métier est en déclin. De moins en moins de femmes souhaitent suivre la voie de leurs ancêtres et apprendre le métier, préférant même quitter l’île pour le continent, abandonnant ainsi leur héritage. Alors que les femmes qui exercent encore le métier ont au minimum environ une soixantaine d’années…
Pour en savoir plus sur les plongeuses de Jeju, je ne peux que vous conseiller de regarder ce témoignage vidéo qui a été filmé par les équipes d’Arte.
Sources : Les plongeuses Jamnyo (Haenyo) de Jeju en Corée, fondation culturelle Musée Barbier-Mueller de Park Ok-Kyung
Wikipedia
Je viens de dévorer ton article! Un sujet qui me passionne mais dont je suis ravie de pouvoir apprendre plus grâce à toi. Je n’attends qu’une chose maintenant c’est de regarder le documentaire d’Arte! Encore une fois bravo pour l’article que je vais partager à mon entourage!
Merci beaucoup pour ton commentaire et d’avoir lu cet article !! Je comprends tout à fait ton engouement pour ces femmes qui sont quand même fantastiques de par leurs âges et le boulot qu’elles exécutent chaque jour ! Merci d’avance pour les partages ! 🙂