Kim Jiyoung, née en 1982 de Cho Nam-Joo a été mon deuxième livre coréen. Si La Végétarienne m’a laissé un goût d’incompréhension voire presque de mal être, Kim Jiyoung, née en 1982 m’a tout autant marqué, mais d’une autre manière. Parce qu’il décrit la situation de la femme en Corée du Sud et parce que les femmes en général peuvent s’identifier à cette histoire, j’ai décidé de lui consacrer un article en ce mois de mars spécial femmes.
Puisque ce roman au succès international a également eu le droit à une adaptation cinématographique, ça sera l’occasion pour moi de vous faire mon retour dessus afin d’aussi promouvoir la sortie du livre en format poche aux éditions 10/18.
La place de la femme en Corée et ailleurs.
Femme au foyer depuis qu’elle a accouché, Kim Ji-Young a été obligée de quitter son boulot et d’abandonner ses rêves pour élever sa fille. Elle se met subitement à parler avec la voix d’autres femmes, faisant s’inquiéter son mari, elle, qui menait une vie banale de femme coréenne.
Kim Ji-Young est le prénom qui a été le plus donné aux petites coréennes en 1982, voilà pourquoi le personnage principal porte ce nom. Le but de Cho Nam-Joo est tout simplement de faciliter aux femmes coréennes l’identification, mais c’est un portrait universel qu’elle dépeint ici. Découpé en 6 parties qui chacune parle d’une période de la vie de Kim Ji-Young, Cho Nam-Joo nous décrit la mise en avant du patriarcat sous toutes ses formes, agrémentant sa semi-fiction par des chiffres, eux, bien réels.
« Quand on servait un bol de riz bien chaud, tout juste cuit, l’ordre normal de distribution était d’abord le père, puis le petit frère et la grand-mère. Il était normal que le petit frère mangeât des morceaux de tofu frit, des raviolis et des galettes de viande, tandis que Kim Jiyoung et sa sœur se contenteraient de morceaux effrités ou de miettes. […] S’il y avait deux parapluies, l’un revenait au petit frère, le second était partagé entre les sœurs. »
Kim Jiyoung, née en 1982, Choi Nam-Joo, traduction de Kyungran Choi & Pierre Bisiou, NiL Eds
La pression sociale débute avec sa mère qui s’oblige à avorter quand elle a une troisième fille, juste parce que sa belle-mère a «fait quatre fils.» et qu’«il faut avoir au moins quatre fils». Kim Jiyoung subit donc le favoritisme de son petit frère qui a le droit de manger le premier à table. A l’école, à la cantine, elle est dans les 20 dernières à être servies (parce que les garçons sont servis en premier) et reçoit alors les réprimandes du directeur car elle ne mange pas assez vite. Lorsqu’elle entre au lycée, la tenue scolaire est très stricte pour les filles, sous prétexte que le lycée est mixte. Devant aller dans une école à 15 minutes de chez elle en bus pour prendre des cours du soir, elle subit des attouchements sexuels dans les transports en commun. Bien qu’aidée par une inconnue, elle se fait gronder par son père «Pourquoi une jupe si courte?…». Lorsqu’elle postule pour son premier emploi, elle n’est pas choisie parce qu’elle est une femme et qu’elle devra sans aucun doute avoir des enfants et prendre des congés maternités… Chaque âge charnière de sa vie représente une nouvelle épreuve, parce qu’elle est une femme. Bien évidemment, j’en passe et des meilleures.
« Le fait qu’un garçon soit numéro un, le fait que l’on débute par les garçons, le fait que les garçons soient devant les filles, demeurait tout simplement évident, naturel. »
Kim Jiyoung, née en 1982, Choi Nam-Joo, traduction de Kyungran Choi & Pierre Bisiou, NiL Eds
Heureusement pour elle (et pour nous), ce livre est également les prémices de petites victoires comme les numéros de la cantine qui s’inversent tous les mois, laissant les filles être finalement servies les premières ou comme la mère qui refuse que son fils ait droit à une chambre seule alors que ses filles partagent la leur avec la grand-mère une fois qu’ils ont un nouvel appartement. Les personnages de la mère de Kim Jiyoung, ainsi que sa sœur, Kim Eunyeong, sont des personnages vraiment intéressants. Elles ont toutes les deux un caractère fort, font preuve de patience à l’égard de certains comportements mais n’hésitent pas à ouvrir leur bouche lorsque cela les révolte. Elle ne se laisse pas marcher sur les pieds, mais reste malgré tout présentes pour leur famille, parfois même quand cela signifie faire des concessions… Là où Kim Jiyoung est davantage une victime de la société dans laquelle elle a grandi.
Si je m’écoutais, je vous mettrais d’autres citations très bien trouvées, des choses que j’ai moi-même déjà entendues dans ma vie, mais il vaut mieux quand même vous laisser découvrir ce livre par vous-mêmes ! Il y a possibilité que, comme ça a été le cas pour moi, vous ayez envie de jeter le livre par la fenêtre de chez vous, tant certains dialogues ou situations sont révoltantes. D’autant plus révoltantes qu’elles sont réelles. Elles le sont quand on peut lire que «La Corée est le pays où l’écart des salaires hommes/femmes est le plus important de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques)», ou que c’est seulement en janvier 2008 qu’il n’y eut plus besoin de désigner un chef de famille lors d’un contrat de mariage, laissant les enfants coréens prendre le nom du père OU de la mère (même si l’on enregistre encore aujourd’hui très peu de personnes cochant la case « Non » pour désigner un chef de famille), ou encore que c’est la faute de la femme si le couple n’a pas d’enfant… Et c’est d’autant plus réel que ce sont des situations dans lesquelles les femmes peuvent encore se trouver de nos jours…
L’on nous prévient qu’il s’agit ici d’un portrait de la femme coréenne principalement, mais également d’un miroir de la situation de la femme tout court. C’est pour cela que je préfère les couvertures des versions anglaises ou américaines plutôt que celle de la version française, qui fait très typée… En somme, ce livre ne peut pas vous laisser indifférent.
D’autres points soulevés dans l’adaptation.
L’adaptation cinématographique de Kim Jiyoung, née en 1982 change quelques détails du livre. Bien que la base (une femme, mère au foyer, ayant du quitter son travail et son rêve de devenir écrivaine pour élever sa fille) soit respecté, il est également ajouté très rapidement qu’elle est atteinte de dépression post-partum. Le film va jusqu’à laisser Jeong Daehyeon, le mari, penser que sa femme est possédée.
Il insère aussi plusieurs situations qui peuvent être toujours d’actualité dans certaines familles coréennes et d’ailleurs, comme la belle-fille qui se retrouve à devoir préparer le repas avec sa belle-mère pendant que les hommes sont devant la TV. Le personnage de Jeong Daehyeon fait pourtant des efforts, sent bien que sa femme se tue à la tâche et essaye de l’aider en proposant, par exemple, de faire la vaisselle. Mais cela ne fait qu’envenimer les choses, laissant penser à la belle-mère que sa belle-fille n’est pas assez bien pour son fils, car elle ne fait pas toutes les tâches de la maison. Pour résumer, le film ajoute toute une intrigue autour de la belle-mère de Kim Jiyoung qui est très bien vue. J’ai un peu moins aimé que la situation psychologique de Kim Jiyoung soie catégorique, là où le livre laisse planer le doute, ou encore que l’on voit vraiment son mari insister pour qu’elle aille voir un psychiatre. Certaines tournures scénaristiques sont très bien vues et la prise de conscience masculine est un très bon point du film.
Le casting est parfait, autant que la direction artistique. Nous retrouvons Jung Yu-Mi (정유미) pour incarner Kim Jiyoung (déjà vue dans Dernier Train pour Busan). Elle est exceptionnelle et juste dans le rôle, dans sa façon d’être (comme peut le montrer l’affiche du film ci-dessus). J’ai apprécié de voir son personnage évoluer au fil du film.
Kim Mi-Kyung (김미경) est impeccable dans son rôle de maman (et qui a déjà joué une très bonne maman dans It’s Okay to Not Be Okay ou encore The Heirs !). J’aime vraiment beaucoup cette dernière et elle est encore une fois épatante dans ce film. Je n’avais encore jamais vu, ou en tout cas jamais remarqué, Gong Min-Jung (공민정) qui joue Kim Eunyeong, la sœur de Kim Jiyoung, mais elle est également totalement adaptée pour le rôle.
Il n’y a que très peu de rôle notable masculin (et c’est bien normal) mais nous retrouvons tout de même du bon casting aussi, avec l’excellent Gong Yoo (공유) qui campe le mari de Kim Jiyoung (qui était au côté de Jung Yu-Mi dans Dernier Train pour Busan, ou que vous avez pu voir dans Goblin) et Kim Sung-Cheol (김성철) pour le petit frère pourri gâté (que j’ai découvert dans Sweet Home).
La réalisatrice, Kim Do-Young (김도영) en est à son premier film avec Kim Jiyoung, née en 1982 puisqu’elle est à la base une actrice. Cela ne l’a pas empêché de gagner le prix de «Meilleur espoir réalisateur» à la 56ème Cérémonie des BaekSang Arts Awards en juin 2020 (cérémonie consacrée aux réalisations coréennes).
Pour moi, une bonne adaptation d’une œuvre littéraire n’est pas un copier-coller de celle-ci. Je souhaite, quand je regarde le film ou la série, découvrir de nouvelles choses, retrouver des passages que j’ai aimés et imaginés sur l’écran et en aucun cas je ne brime le point de vue du réalisateur (à partir du moment où le tout reste compréhensible). Voilà pourquoi, tout comme je vous recommande de lire le livre, je vous envoie évidemment voir le film qui est, à mon goût, une très bonne adaptation. Tout comme le livre est à mettre entre toutes les mains, le film est à montrer à tout le monde !